mercredi, avril 07, 2021

LETTRE D'UN FILS À SON PÈRE « DÉTENU-DISPARU »

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
MAURICIO WEIBEL BARAHONA
CAPTURE D'ÉCRAN

« Aujourd'hui ça fait 40 ans de l'enlèvement et la disparition de mon père. Nous étions dans un bus sur le chemin de l'école avec ma mère, María Teresa, mon frère, Alvaro, âgé de trois ans, et moi.

par Mauricio Weibel Barahona 

JOSÉ WEIBEL ET SON FILS MAURICIO

Plusieurs véhicules du Comando Conjunto [appareil répressif chargé de l'extermination de militants communistes] ont intercepté notre déplacement et des hommes armés ont arrêté mon vieux. J'étais assis à côté de lui.

Nous ne l'avons plus jamais revu.

L'agent Valenzuela [Agent du Comando Conjunto ayant fait défection et réfugiés depuis en France] a avoué en 1985 qu'il avait été tué dans le Cajón del Maipo. [canyon Andin situé au sud-est de Santiago]

Le procès est sur le point de rendre la décision de justice  en première instance. Il est difficile de comprendre un tel retard. Quatre décennies.

Si aujourd'hui je rencontrais mon vieux, je pense qu'il me serait difficile de lui expliquer comment l'âme du Chili a également été kidnappée, comment les droits sociaux, la politique étrangère et le financement politique ont été privatisés.

Je devrais lui dire que certains de ses grands amis défendent aujourd'hui les Ponce Lerou, les Penta et Longueira.

Je devrais lui expliquer que l'élite politique cherche toujours à défendre ses privilèges, en muselant  la presse ou légiférer pour que les dirigeants sociaux ne puissent pas se présenter au Congrès.

Je devrais lui expliquer qu'aujourd'hui encore, selon les chiffres du ministère de l'Éducation lui-même, il y a environ 1 800 écoles sans eau chaude et 70 autres avec latrines. Au XXIème siècle.

Je devrais expliquer que le pays a alloué quelque 14 milliards de dollars à l'achat d'armes depuis 2000. De quoi combler les carences en matière d'infrastructures sanitaires et éducatives dont le pays a besoin.

 Mais surtout je lui dirais que ses amis d'autrefois et des jeunes qu'il n'a jamais connus lui rendront hommage ce mercredi. Que beaucoup se souviennent de lui avec une profonde affection.

Je lui expliquerais que malgré tout, chacun, parmi ceux qui ne sont plus là aujourd'hui nous a légué la mémoire, le rêve irrévérencieux d'un lendemain juste et solidaire, l'espoir du sauvegarde de l'humanité. Pour l'égalité des droits et le respect entre les cultures et les peuples.

Je lui remercierais et boirais un verre de vin en hommage de notre histoire et de sa vie. » HLT