jeudi, avril 08, 2021

AU CHILI, LE COVID RALENTIT LA TRANSITION

PHOTO LORD HENRI VOTON - GETTY

Prendre soin de la santé de ses compatriotes, et prendre soin de la santé de la démocratie. C’est avec ces mots que le Président chilien a très solennellement confirmé avant-hier… qu’il trahissait ses engagements.


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     «AU CHILI, LE COVID RALENTIT LA TRANSITION» 
      PRÉSENTÉ PAR HERVÉ GARDETTE
     DIFFUSION JEUDI 08 AVRIL 2021

    France culture

    L’élection d’ une assemblée constituante est donc reportée à la mi-mai, et la crise sanitaire a bon dos : le Chili est aujourd’hui le pays le plus vacciné d’Amérique latine, 40% de la population a reçu une première dose, c’est bien plus que chez ses voisins le Pérou et l’Equateur qui eux, ont maintenu leurs élections ce week-end.

    Pour le chercheur Christophe Ventura de l’Iris, le report du scrutin est sans aucun doute un calcul politicien de la part du président chilien. Sebastian Pinera, s’il avait voulu inventer un stratagème pour le sortir de la crise sociale et politique de la fin 2019, n’aurait jamais trouvé mieux que le coronavirus.

    Car même si les manifestations ont continué à bas bruit les mois suivants, elles ont été sérieusement dispersées par la pandémie, qui a également permis à Pinera de se refaire une image : il a mis les moyens dans la lutte contre le Covid-19, dans un pays où le système de santé est depuis longtemps parmi les plus inégalitaires. Et il compte bien récolter les fruits de cet effort dans les urnes, la cerise étant un éventuel rebond économique dans les semaines qui viennent. Ce week-end devaient aussi se tenir des élections régionales et municipales : c’est tout ça qui a conduit Sebastian Pinera à reporter tous les scrutins prévus, le temps de passer de celui qui incarne un problème, à celui qui le résout.

    Voilà comment des manœuvres politiciennes peuvent mettre à mal une transition, pour le coup déjà bien entamée tout de même. Le changement de cette Constitution écrite sous la dictature, est à la fois une étape très importante du processus mais qui arrive presque en bout de course. La transition démocratique a commencé dès les premières élections libres après la chute du général Pinochet en 1989. Une justice transitionnelle a bien été mise en place ; des rapports sur les assassinats et les disparitions forcées, puis sur les prisonniers politiques et la torture, ont œuvré au travail de mémoire et de réconciliation.

    Mais cette transition s’est faite avec les forces les plus conservatrices. C’est une des leçons de l’exemple chilien : une transition peut se faire sous tutelle, quasiment, en l’occurrence de l’armée qui a conservé pendant 15 ans une position de pouvoir dans les institutions militaires et politiques, et qui a littéralement piloté la transition comme dans d’autres pays d’Amérique latine… Le général Pinochet s’est lui-même maintenu à la tête de l’armée jusqu’en 1998 puis il est devenu sénateur.

    Alors les choses ont beaucoup changé déjà depuis une révision constitutionnelle en 2005, mais il s’agit surtout cette fois de revenir sur des choix économiques et sociaux. La Constitution a consacré un modèle, des structures sociales héritées des Chicago Boys, ce groupe d’économistes chiliens formés aux Etats-Unis sous la houlette de Milton Friedman… Elle sanctuarise par exemple la privatisation des ressources naturelles. Il s’agit donc de réécrire ex nihilo une nouvelle loi fondamentale.

    Mais une fois promulguée une nouvelle Constitution, dont on ne sait pas encore qui la rédigera…, et qu’il faudra faire voter, article par article, par une majorité qualifiée des deux tiers au Parlement… encore faudra-t-il que les futurs leaders politiques aient la volonté de mettre en œuvre les réformes structurelles qui seront permises par ce nouveau texte. Là encore, une majorité conservatrice pesante pourrait ralentir le processus, et s’asseoir sur l’élan populaire, social, féministe qui avait réussi à percer dans un pays à la « citoyenneté carte de crédit », un pays obsédé par la consommation comme dit la chercheuse Marion Di Meio qui a vu le débat public, les diners en famille, se « repolitiser » à la faveur du référendum pour une nouvelle Constitution. Mais si le « oui » avait été approuvé à plus de 78%, seule la moitié des électeurs s’étaient déplacés. Même quand l’armée n’est plus en embuscade, les forces conservatrices peuvent peser longtemps sur les processus de transition.

    GRAFFITI CAIOZZAMA

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